Pourquoi Biscaye n’a-t-il pas fui Saint Pierre de la Martinique aux premiers signes d’éruption du volcan Pelée en mai 1902 ?
Saint Pierre de la Martinique a été une ville politique, économique, religieuse et culturelle très importante aux 18ème et 19ème siècles. Dès la fin du 17 ème siècle, la noblesse française s’y était installée pour développer le commerce des productions locales, tabac, indigo puis canne à sucre. Mais sa localisation géographique en a fait également une base avancée pour le commerce avec la jeune Amérique. Les flibustiers faisaient parties intégrantes de la population et contribuaient à l’économie de l’île par le commerce interlope.
Ville riche, construite en pierre, au bord d’une large rade, Saint Pierre était surnommée le « petit Paris des Antilles », la « Perle des Antilles » ou la « Venise ». En ce début du 20ème siècle, environ 400 navires faisaient escale à Saint Pierre chaque année.
Cette année 1902 est décisive pour le gouvernement républicain ; l’enjeu des élections législatives est la loi de séparation des Eglise et de l’Etat souhaitée par les partis du bloc des gauches contre les conservateurs. Le résultat du premier tour, le 27 avril 1902, est un ballottage très serré entre protagonistes.
Non loin de là, les manifestations du volcan, la Montagne Pelée qui s’est « réveillé » depuis 1889, se font de plus en plus inquiétantes, avec des secousses sismiques depuis le 23 avril, la formation d’une colonne de cendres depuis le 24, le jaillissement d’une colonne d’eau. A partir du 2 mai, les phénomènes s’intensifient. Une couche de cendres recouvre la partie nord de l’île ; Saint Pierre se trouve plongée dans l’obscurité totale dès 14H, le 3 mai, en conséquence de l’épaisseur des cendres dans l’atmosphère, au-dessus de la ville. La population commence à s’enfuir vers Fort de France. Le Gouverneur de la Martinique, Louis Mouttet, demande des instructions aux ministères à Paris et met en état d’alerte les troupes militaires pour maintenir l’ordre.
Le lundi 5 mai, alors qu’un raz de marée inonde la ville et détruit les lignes télégraphiques et les usines de Rhum Guérin, le gouverneur nomme une commission scientifique présidée par un colonel d’artillerie.
Le 7 mai, cette commission déclare que le pire est passé et « que la montagne Pelée n’offre pas plus de danger pour la ville de Saint Pierre que le Vésuve n’en offre pour Naples ». Les troupes ont pour ordre d’empêcher les fuyards empruntant la route ; les navires ont eu interdiction d’appareiller. Il fallait quelles qu’en soient les circonstances que le second tour des élections puisse se dérouler le 11 mai.
Le 8 mai, à 8h du matin, Saint Pierre a été entièrement détruite faisant plus de 28000 morts.
Quartier du mouillage de la place Bertin, Saint Pierre de la Martinique après l’éruption.
Côté mer, 10 des douze navires mouillés en rade de Saint Pierre ont coulé (la liste exacte des navires n’est pas complète ; toutes les fouilles n’ayant pas encore abouties) :
Amélie, trois mâts français
Tamaya, trois mâts français
Biscaye, trois-mâts goélette français
Diamant, vapeur français
Gabrielle, goélette française
Maria-di Pompéi, goélette à vapeur Italien
Nord America, trois-mâts barque Italien
Adelaïde, trois-mâts allemand
Roraima, vapeur anglais
Grappler, navire câblier anglais.
Navire en train de couler, touché par les nuées ardentes.
Romania, paquebot de luxe américain est arrivé de Fort de France deux heures avant la catastrophe. Il a également péri.
Le Belem, trois mâts français était arrivé la veille en Martinique ; il effectuait à cette époque le commerce notamment du cacao avec l’Amérique du sud et diverses denrées avec les Caraïbes. Il n’avait pas eu de place au mouillage à Saint Pierre. Ayant mouillé de l’autre côté de l’île, en baie du Robert, il a échappé à la catastrophe.
Le Tamaya aurait dû être reparti mais les événements avaient retardé les opérations.
Le croiseur Suchet a également été chanceux. Une panne machine l’avait retenu la veille à Fort de France alors qu’il devait venir à Saint Pierre, récupérer le gouverneur. Pour soutenir l’avis de sécurité rendu par la commission scientifique, Louis Mouttet était en effet venu le 7 mai à Saint Pierre, en compagnie de son épouse. Ils ont péri comme toute la population présente. Le croiseur était arrivé en rade vers 8H, au moment le plus fort de l’apocalypse ; l’équipage a assisté impuissant à l’incendie de la ville et des bateaux. Il a pu récupérer une petite trentaine de survivants.
Le Royal Mail Steamer, ESK était en approche de Saint Pierre le 8 mai. L’équipage a également assisté, impuissant aux incendies. Les chaloupes mises à l’eau n’ont pu s’approcher de la ville et du port.
L’Orsolina, navire italien, avait réussi à appareiller durant la nuit, emmenant le douanier qui était de garde à bord. Le capitaine était napolitain. Les manifestations du volcan la veille et la destruction des usines l’avaient alerté sur l’urgence de la situation. Le service des douanes lui avait interdit de lever l’ancre sous prétexte que « son chargement n’était pas terminé et les papiers n’étaient pas prêts ». Aux menaces de pénalités importantes qui lui avaient été promises s’il partait sans autorisation, le capitaine avait répondu « qui me les appliquera ? Vous ? mais demain vous serez tous morts ».
Le Roddam, navire britannique était mouillé le plus au large dans la rade. Il a appareillé en voyant la nuée ardente tomber sur Saint Pierre. Il est arrivé à Saint Lucie, île voisine, avec simplement deux hommes, le pont entièrement calciné et le capitaine lui-même blessé. Aucun n’a survécu.
La méconnaissance de la vulcanologie et la volonté du gouvernement de garder les électeurs en ville ont eu raison des 28000 habitants, de la flotte et de toute l’économie. La ville ne renaîtra qu’en 1923. Les navires à voiles avaient été remplacés par la propulsion à la vapeur, des constructions en acier. Le commerce avait lui aussi changé de voies.
Saint Pierre était la ville la plus importante de l’île. Le service des douanes, les différentes administrations maritimes étaient à Saint Pierre. Aucune archive n’a encore été retrouvée sur les intentions des armateurs Légasse et Vidart ou du capitaine Trivily les quelques jours précédant la destruction du navire. A-t-il lui aussi été contraint de ne pas appareiller pour éviter la catastrophe ?
Les fouilles archéologiques de l’épave ne font état que de barils de morues, chargées à Saint Pierre de Terre Neuve. La cargaison chargée à la Martinique n’était pas encore à bord. Biscaye, tout comme l’Orsolina, n’était pas prêt au départ.
La gazette de Biarritz, Bayonne, Saint Jean de Luz, du 13 juin 1902
Anne Littaye
(Article rédigée d’après l’ouvrage « Martinique 1903, l’Apocalypse » de Pierre Barthélémy Alibert, Ed.Orphie, 2013).